5. La Bataille des Hautes Vosges – La route de Bitche

Read in English

Mercredi 8 novembre 2017
La route de Bitche

Le ciel est gris, il fait 4°C, comme pour la 100e Division d’Infanterie en novembre 1944 d’après les lettres de Tom. L’atmosphère ambiante m’aide à imaginer ce que furent les conditions sur le champ de bataille en pleine saison des pluies. J’ai essayé d’emprunter le même chemin que mon père, de Raon-l’Étape à Bitche, sur 120 km. La zone est très pittoresque et, comme le nom l’indique, les Basses Vosges sont moins élevées et ressemblent quelque peu aux vallées du sud de New England.

Les Basses Vosges s’étendent de Raon-l’Étape jusqu’aux champs vers Sarrebourg. La Division achève son entraînement intensif en vue d’attaquer la ligne Maginot. Elle ressent la fatigue des semaines de combat engagé au début du mois. Après avoir campé à l’extérieur pendant plus de trois semaines, Tom a la chance de faire l’expérience de l’hospitalité française pendant une nuit, avant le début de la marche à travers les Vosges. Il en fait le récit dans une lettre à Kate :

« Quelque part en France

« 23 novembre 1944

« Ma Chérie,

« Cette nuit, je dors à l’intérieur pour une fois. Nous sommes dans un village français où les gens sont adorables avec nous. Ils aiment tous les Américains ; la nourriture américaine et les cigarettes aussi. »

Les Allemands se replient à contre-cœur. Ils rejoignent leurs positions fortifiées dans les Hautes Vosges et les troupes américaines s’arrêtent à Sarrebourg pour un nouvel entraînement et leurs premiers repas chauds et douches depuis un mois.

Dans une lettre à Kate, Tom raconte son expérience.

« Sarrebourg

« 28 novembre 1944

« Ma très chère Kate,

« Je suis à présent installé dans une maison pour quelques heures avant de reprendre la route et j’en profite au maximum. Je me suis lavé, rasé, brossé les dents, et si je trouve des sous-vêtements propres, je les enfilerai et brûlerai ceux que je porte. Je n’ai rien porté de propre depuis presque quatre semaines. J’ai hâte de me débarrasser de l’odeur aussi bien que les vêtements.

« Quelle extase d’être propre à nouveau ! – Et j’ai reçu deux colis aujourd’hui, un de ta part et un de maman. »

Tom et Kate poursuivent leur correspondance de façon sporadique durant les semaines suivantes. La 100e Division d’Infanterie pénètre dans les Hautes Vosges, chassant les Allemands et libérant les villes sur leur chemin.

Sur cette photo qui montre la marche des soldats, remarquons qu’ils maintiennent quelques mètres entre les deux colonnes dans le but de minimiser les pertes en cas de tirs d’artillerie ou de mortier.

Les forces allemandes trouvèrent tous les moyens imaginables pour entraver l’avancée des Américains : des grillages, des troncs d’arbre, de la terre… n’importe quoi qui serait susceptible de les ralentir.

En prévision de la bataille qui s’annonce, Tom écrit « … la vie facile va nous quitter pour un petit moment. »

« La Petite Pierre

« 1er Décembre 1944

« Ma très chère Kate,

« J’ai toujours le temps d’écrire. Cette opportunité me sera enlevée dès ce soir. La situation commence à stagner et je pense que la vie facile va nous quitter pour un moment. Chaque fois que je t’écris une lettre je pense à toutes les choses qui pourraient t’intéresser, mais je dois m’autocensurer, et il ne me reste pas grand-chose à dire à part parler de la météo, te parler du pays et te dire dans quel état d’esprit je me trouve. Presque tout le reste est soumis au protocole de censure. »

L’abondance de troncs d’arbres abattus fournit un couvert aux deux armées.

Après une semaine de combat intense, Tom trouve le temps d’écrire à Kate et réfléchir aux événements en cours et l’invasion japonaise de Pearl Harbor le 7 décembre 1941.

« Meisenthal

« 7 décembre 1944

« Très chère Kate,

« Voilà encore cette date fatidique. Te rappelles-tu de Danbury, il y a trois ans ? Choquant, à l’époque, pas vrai ? Mais c’est malgré tout le jour qui a fait pencher la balance et je dois m’en rappeler avec des sentiments mitigés.

« Nous sommes dans une autre ville que nous avons « libérée » aujourd’hui. La plupart des gens sont ravis de nous voir mais il y a quelques collaborateurs dans la zone, comme d’habitude. Les civils s’occupent d’eux, à leur manière. »

La naissance de leur second enfant approchant, Tom n’est pas au courant des détails sur le sexe de l’enfant et il souffre le martyre d’être loin de sa famille grandissante.

« Lettre de THG, 10 décembre 1944 – Goetzenbruck

« Très chère Kate,

« Dans deux ou trois semaines, nous serons quatre (au moins). Mon Dieu – l’attente est rude. Je suis plus anxieux qu’inquiet à propos de ton accouchement. Je sais au fond de moi que tout ira bien, mais je ne serai pas rassuré avant de savoir officiellement que toi et le bébé êtes sains et saufs. »

La Compagnie F dans les Vosges

En roulant sur les pavés de ces chemins forestiers, à travers la brume, ralentissant à cause des lacets, il est facile d’imaginer les troupes sur cette même route, marchant de village en village. Le paysage est relativement inchangé ; on voit de grandes quantités de troncs d’arbres abattus sur le bord de la route. Aujourd’hui les vallées sont sereines, sans les bruits de tronçonneuse ou la percussion des artilleries lourdes. Je ne me précipite pas : le chemin est ma destination.

Le 13 décembre, la Compagnie de Tom fait partie d’une grande offensive contre des positions allemandes implacables, comme le relève l’Histoire du 398e Régiment :

La résistance allemande se faisait de plus en plus rude à mesure que nous nous approchions des portes de Bitche. La cadence de l’artillerie se faisait plus lourde et les fusils automatiques quadrillaient les places fortes et les villes. Au moindre signe de provocation, les Allemands faisaient pleuvoir leur artillerie. Durant les deux jours suivants, le régiment avança avec précaution, préparant une attaque sur Reyersviller. Puis soudainement, le 13 décembre, comme une éclaircie, le 398e déferla dans la ville derrière un barrage d’artillerie émis par le 375e Bataillon d’Artillerie au Sol. Avec le 2e Bataillon à la tête de la charge, les casemates et autres positions stratégiques qui faisaient feu sans relâche un moment auparavant, sautèrent. Les soldats ennemis qui en eurent l’occasion sortirent de leurs cachettes pour se rendre. Le bataillon poussa vers le nord de Reyersviller, la Compagnie F étant la première unité de la 100e Division d’Infanterie à atteindre la ligne Maginot et s’attirer les volées des armes lourdes en position. À l’extérieur de la ville, le régiment s’établit devant l’objectif de la division : Bitche.

Les actions de Tom les 13 et 14 décembre lui ont valu la récompense de la Bronze Star Medal (Médaille de l’Étoile de Bronze)

Quartier général de la 100e Division d’Infanterie
Bureau du General Commandant
APO #477, Armée américaine
26 décembre 1944
AG 200.6

Sujet : Attribution de la Médaille d’Étoile de Bronze
A : Capitaine Thomas H. Garahan, 01296510 398e Régiment d’Infanterie
APO #447, Armée Américaine.

En vertu des dispositions du Règlement Militaire 600-45, nous vous remettons la Médaille d’Étoile de Bronze pour votre héroïsme au combat.

CITATION

Thomas H. Garahan, 01296510, Capitaine, 398e Régiment d’Infanterie, pour ses agissements héroïques au combat, les 13 décembre et 14 décembre 1944, en périphérie de Bitche, France. Par sa capacité à mener ses troupes et à diriger le feu d’artillerie avec efficacité, Capitaine Garahan a permis la sécurisation de l’objectif assigné en minimisant les pertes. Le 13 décembre, il a personnellement ajusté les tirs d’artillerie sur une position ennemie, parvenant à détruire une arme de 88 millimètres et son équipage avec une unique salve. Le jour suivant, son ajustement pertinent a permis la localisation et la détonation de nombreuses mines hostiles. Il est entré dans l’armée depuis Brooklyn, à New York.

W.A. Burress
Général de division
Commandement de l’armée américaine

Durant une brève interruption du combat, les mots écrits par Tom témoignent de l’émotion qu’il ressent dans le danger qu’il doit affronter.

« Lemberg

« 16 décembre 1944

« Très chère Kate,

« C’est adorable de ta part de me proposer de me plaindre à toi si j’ai besoin de me confier. Ça te ressemble, Kate, de vouloir partager avec moi la misère et la boue – mais je t’assure que la seule chose qui me rend triste est d’être loin de toi. On s’accoutume à avoir froid de temps en temps, ou même à avoir peur à l’occasion, mais je ne m’habitue pas à l’absence de ton sourire et l’allégresse dans tes yeux. C’est ça qui fait le plus mal.

« Toute lamentation mise à part, je ne me sens pas si mal. Ces derniers temps, j’ai droit à un, parfois deux repas chauds par jour. La météo s’améliore également. Nous voyons le soleil presque tous les jours, maintenant, ce qui a un effet très positif sur notre moral. La saison des pluies semble presque terminée. Dieu merci !

« Je ne m’attends pas à avoir de tes nouvelles avant un moment, et je ne me ferai pas de soucis parce que tu es en bonne santé et tu es bien entourée. Rappelle-toi juste à quel point je t’aime, et que tout ce bazar viendra à son terme un jour. Je serai à tes côté bientôt. »

Quand Tom dit « je ne m’attends pas à avoir de tes nouvelle avant un moment… », il sait que la 100e Division d’Infanterie s’apprête à rentrer dans une phase complexe de la guerre, l’assaut de la ligne Maginot. Ils encerclent Bitche et ont les ordres d’attaquer et capturer le Fort Freudenberg et le très fortifié Fort Schiesseck. La 100e Division est prête à attaquer.

Tom n’écrira plus de lettres jusqu’au 24 décembre 1944.

Capture d’un fort de la ligne Maginot