2017 : Arrivée en France
Jeudi 2 novembre 2017
En 2015, j’ai commencé à envisager l’idée d’un voyage qui retracerait les déplacements de mon père et de la 100e Division d’Infanterie de 1944 à 1945. J’avais déjà fait plusieurs voyages en Allemagne et en France et j’avais même déjà été à Bitche en 2005. J’ai essayé pour cette fois de rester fidèle au possible au voyage de mon père, outre le voyage transatlantique que j’ai effectué en avion. Entre 2015 et 2017, j’ai fait beaucoup de lectures, dont surtout des récits de guerre à la première personne et surtout les lettres de mon père à ma mère. Rétrospectivement, c’est un bon point de départ mais j’en ai appris plus que je n’aurais pu l’imaginer par la suite.
Au terme de mon vol nocturne, j’arrive à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle. Ayant passé les douanes, je pars à la recherche de la gare ferroviaire de l’aéroport et du fameux Train à Grande Vitesse français. J’ai la chance d’arriver assez tôt pour embarquer le train précédent pour Aix-en-Provence, dans le sud de la France, au nord de Marseille, où la 100e Infanterie a débarqué en octobre 1944.
Gare Charles-de-Gaulle
La vitesse du TGV excédant facilement les 300 km/h, mon voyage durera approximativement quatre heures. J’ai choisi Aix-en-Provence comme point de départ de mon voyage pour sa proximité avec l’endroit où Tom a débarqué et campé durant une semaine avant d’aller au combat. La route est très pittoresque : la vallée du Rhône, à travers Lyon, Avignon, puis Aix.

Un château non loin d’Avignon
Un collègue et ami Alain Piallat m’a réservé une chambre pour trois nuits à l’hôtel Renaissance. Mon but est de retracer les pas de Tom et tenter de répliquer son expérience sur place. J’avais déjà été à Aix-en-Provence quelques années plus tôt mais sans les connaissances et la détermination que j’ai aujourd’hui. Quelle bonne façon de commencer ce voyage !
En dépit de son statut de soldat, il y a une essence touristique qui se dégage des premières lettres à Kate. L’hôtel dans lequel je suis installé est dans un quartier artistique. En moins de 24 h, j’arrive au point de départ de mon voyage. La 100e Division d’Infanterie a mis presque deux semaines avant d’arriver ici. Le moment est venu de retracer les pas de ces 13 000 jeunes hommes.
Octobre 1944
Aix-en-Provence – La visite de Tom et du lieutenant Allen
Après le débarquement à Marseille, les différents groupes de la 100e Division d’Infanterie entamèrent les préparatifs de guerre. Une collection massive d’artillerie, de munitions et de véhicules fut transportée et les unités de soutien se chargèrent d’assembler les armes à feu et les unités de transport.
L’Infanterie de combat stationne à Septèmes, au sud d’Aix-en-Provence. Tom a donc l’occasion de visiter la ville d’Aix.

Il envoie son carnet de voyage à Kate avec une de ses lettres.
« Aix-en-Provence est une ville de province française, partiellement modernisée par le commerce touristique. Sa beauté originelle n’en a pas pour autant été entachée. On y trouve le Français typique, avec son béret, sa chemise et sa moustache.
« Il y a beaucoup de places avec des fontaines, des statues et des marchés à légumes dans chacune d’elles. Des centaines d’enfants nous tirent sur la manche en s’exclamant « Chocolat, bonbon, cigarette ? ». À un moment, j’étais si assailli que j’ai dû leur jeter des pièces françaises pour m’échapper.

« Le lieutenant Allen et moi avons mangé dans un restaurant français d’Aix. Ça nous a coûté 50 francs (soit 1 dollar chacun).
« Menu :
Soupe – épaisse et riche avec des légumes riches en amidon
Patates et pois – avec sauce de viande. Les pois semblaient un mélange de fèves et de haricots verts.
Vin – Une carafe contenant environ deux verres pleins.
Pain – Deux tranches de baguette française.
Deux poires chacun.
« Remarquons qu’il n’y avait ni viande, ni beurre, ni sucre inclus dans le repas. Ces produits sont rationnés et très difficiles à obtenir.
Aix 1944
Cathédrale Saint-Sauveur
« Nous avons visité la cathédrale, des librairies, des cafés en terrasse, des bars et avons fini par payer 10 francs pour aller à une danse dans l’auditorium municipal, une collecte pour les Forces Françaises Libres. L’endroit était plein à craquer : on y trouvait tout du simple soldat au colonel décoré. À ma grande surprise les GI avaient enseigné aux filles le jitterbug (cette appellation peut désigner plusieurs variations de swing américain popularisé au début du XXe siècle, comme le Linda Hop, le Jive ou le West Coast Swing). On aurait pu se croire au Wheatley Hills Tavern un samedi soir, si ce n’était pour le tumulte des idées.

« L’orchestre s’est plutôt bien débrouillé. Ils m’ont rendu si nostalgique en jouant « Stardust », « Green Eyes » et « Begin the Beguine » que j’ai dû partir. Je n’ai pas dansé mais j’ai certainement apprécié observer les autres.
« Je t’en dirai plus sur mon voyage dès que j’en ai la permission. »
Vendredi 3 novembre 2017
Aix-en-Provence

En lisant les lettres de Tom datant de ses premiers jours en France, je percevais ses différents sentiments : l’envie d’être auprès de sa femme Kate et sa fille Kathy, l’excitation d’être en France et de vivre une nouvelle aventure et l’appréhension du danger des combats. J’ai décidé de dédier trois jours à arpenter les rues et visiter les endroits mentionnés par Tom. Aix est une ville jeune et fougueuse, une destination touristique très charmante. La plupart des rues sont étroites, pleines de boutiques et peu, sinon aucun véhicule, durant les heures de pointe touristique. Le boulevard principal est le Cours Mirabeau, sur lequel on trouve un restaurant historique : la Brasserie Les Deux Garçons, fréquentée notamment par Paul Cézanne.
Paul Cézanne – comme il l’écrit dans une lettre à son fils en 1906 – est venu ici à l’occasion d’un apéritif entre 16 et 19 heures avec son ami, le romancier Emile Zola. Cézanne (image : Autoportrait avec chapeau mou, 1885) était particulièrement féru d’un plat local d’aïoli.
L’artiste post-moderniste Paul Cézanne (1839-1906), est le résidant le plus renommé de l’histoire de la ville ; il est une sorte d’industrie à lui tout seul.
Mon hôtel est situé à l’opposé de la cathédrale Saint-Sauveur, ce qui est idéal puisque je veux voir la cathédrale et me perdre dans les rues ; voir Aix-en-Provence se dérouler devant moi comme elle l’a fait pour Tom. La cathédrale a une tour assez haute pour être vue de loin, mais trouver le chemin pour y accéder est plus laborieux qu’il n’y paraît. Après quantité de mauvais virages, j’ai finalement trouvé une ligne droite vers le monument.

Ceci est un moment important, puisque je me dirige vers le lieu précis mentionné par Tom dans sa lettre. Ce n’est pas difficile de l’imaginer arriver à la cathédrale par cette même petite rue que j’arpente à présent. Je ressens réellement sa présence.

La cathédrale est située sur la route de la vieille voie romaine, Via Aurelia, et il y a quatre colonnes romaines d’un temple construit au Ier siècle. La première chapelle a été bâtie au VIe siècle et la cathédrale a été bâtie et rebâtie du XIIe au XIXe siècle. Tom aura apprécié la richesse historique, l’architecture, et la religiosité du lieu durant sa brève visite. Il n’y a qu’un pas entre Tom et moi dans cet endroit.
Maintenant que j’ai pris mes repères, je me détends sur un des nombreux bancs sur le chemin. Regarder les passants, sous la chaleur de Provence, c’est parfait, même en novembre. Le soleil de l’après-midi brille sur les terrasses et les bistros des trottoirs du Cours Mirabeau. On trouve à Aix un mélange attractif de tableaux et d’expériences touristiques intégrés et une communauté locale florissante. Mon hôtel est dans le quartier artistique, où je rencontre des jeunes étudiants en art occupés à apprécier les talents musicaux du groupe. L’engouement du vendredi soir est universel.
Samedi 4 novembre 2017
Aujourd’hui, c’est le jour du marché à Aix, ce qui veut dire que les locaux rempliront les rues. Quel que soit le pays ou la ville, le marché ouvert est un reflet du peuple qui l’habite. La France ne fait pas exception : le jour du marché est une tradition culturelle que les locaux prévoient et à laquelle ils participent en nombre. Le marché est situé dans l’un des squares près du centre-ville. Il y a de nombreuses boutiques charmantes sur le chemin.

Les magasins sur la route vendent des fleurs, du chocolat, du thé, du tabac, des vêtements, du vin, des pâtisseries. Laissez aux Français l’art de donner un air chic à une fromagerie.


Le « Marché aux Fruits et Légumes » est près de la mairie. C’est un spectacle assez mémorable.

On sent les odeurs du marché à un pâté de maisons. Le square est saturé de commerçants, locaux et touristes.
Un produit typique de la région de Provence est la lavande. Il y a des stands dédiés exclusivement à la lavande.

Le samedi est un jour très animé à Aix-en-Provence. La brève visite de Tom est au centre de mes réflexions. Il y vient quelques mois après des années d’occupation nazie, ce qui implique effondrement économique, rationnement des produits et conditions de survie extrêmes. Il y ressent, malgré tout, la résolution sous-jacente et la persévérance de la population française. Aujourd’hui, Aix est animée et prospère. Le retour à l’hôtel m’emmène le long de nouvelles rues, plus excentriques, loin des attrape-touristes. Je tombe sur une fontaine immense qui me ramène vers le centre. Paul Cézanne fait son apparition aux endroits les plus inopinés.


C’est ma dernière nuit à Aix-en-Provence. Je suis désormais acclimaté et impatient de continuer mon aventure. Demain je prends un train qui remonte le Rhône, sous les Vosges et jusqu’à l’Alsace-Lorraine, dans une région récemment identifiée dénommée le Grand Est.