Mardi 7 novembre 2017
Raon-l’Étape


Raon-l’Étape est une petite ville de Meurthe-et-Moselle. Elle est entourée de collines et fut le centre névralgique d’approvisionnement et de communication pour le système défensif allemand. Au fil des années, l’armée allemande renforça son bastion en installant de l’artillerie lourde et des unités d’observation dans la région.
La Meurthe et la Plaine fournirent toutes deux des barrières de défense naturelles pour les forces américaines. La 100e Division d’Infanterie avait établi un plan d’attaque : contourner la position allemande pour encercler la position. Une partie de l’Infanterie affronta directement les Allemands, soutenue par leur propre artillerie, et les autres bataillons marchèrent vers le nord et passèrent la Meurthe dans la ville de Baccarat. Leur objectif était de rejoindre Baccarat, puis de marcher vers le sud pour attaquer Raon-l’Étape à revers. Les défenses allemandes incluaient des champs de mines et des forces terrestres déployées dans des positions fortifiées. Durant approximativement deux semaines, la 100e Division d’Infanterie fut engagée dans l’une des plus difficiles batailles qu’elle aurait à endurer pendant la guerre.
Arrivé à Raon-l’Étape, je prends la route principale, dédiée à la 100e Division d’Infanterie. Je cherche une place de parking et je tombe sur une scène très familière. La photo en noir et blanc ci-dessus est une image que j’ai déjà rencontrée pendant mes recherches. On y voit le centre-ville de Raon-l’Étape. Le bâtiment au centre est un théâtre. La mairie est sur la gauche. Au fur et à mesure de ma balade, je m’aperçois que la 100e Division d’Infanterie a laissé une empreinte mémorable dans la ville.


Le monument est érigé à l’honneur de la 100e Division d’Infanterie et des 1500 soldats qui furent tués, blessés ou capturés durant la bataille qui dura du 6 novembre au 20 novembre 1944, quand la 100e Division d’Infanterie reprit la ville après des années d’occupation allemande.
Le 6 novembre 1944, Tom écrit une lettre à Kate, à la veille de la bataille. Tom vient de recevoir quatre lettres de Kate qui tardaient à être livrées. Du fait de la censure, il ne peut révéler ni sa position ni des détails militaires d’importance. Sa fille unique, Kathy, a quinze mois, et Kate est enceinte de neuf mois. Voici donc quelques extraits, envoyés depuis « Quelque part en France » :
« … Le plus tu m’en dis sur Kathy, le plus elle me manque. J’aimerais tellement la voir faire toutes les choses dont tu parles. Dis m’en le plus possible quand tu m’écris. »

« … J’écris depuis mon PC (Poste de Commandement), dans une tente, à la bougie. Il est 23h35 et j’ai une longue journée qui m’attend demain. Je vais devoir fermer boutique – Mais –
« Je ne peux exprimer à quel point avoir de tes nouvelles m’a fait du bien. Je t’aime plus que tout, Kate, et tu me manques terriblement, mais c’est la guerre, et on ne peut rien y faire.
« Je t’aime,
« Tom. »
La bataille des Basses Vosges commence, et Tom n’écrit plus de lettres pendant quinze jours.
Mardi 7 novembre 2017
Baccarat est à environ dix kilomètres en longeant la Meurthe et oui, on y trouve l’usine de cristal Baccarat. Le roi Louis XV autorisa la fondation d’une verrerie en 1764, et le premier cristal fut manufacturé en 1816. Baccarat est une ville qui, depuis longtemps, ne dépend que d’une seule entreprise. Elle est assez éloignée de l’armée allemande, positionnée à Raon-l’Étape, mais assez proche pour permettre une traversée de la Meurthe à pied.



Deux régiments de l’armée américaine se dirigent maintenant vers le sud, sur le côté de la Meurthe opposé à Raon-l’Étape. Les deux barrières naturelles qu’ils doivent franchir sont la Plaine, qui rejoint la Meurthe, et les ravins escarpés extrêmement difficiles à escalader. Ces obstacles naturels sont favorables aux Allemands qui peuvent facilement embusquer les groupes de soldats américains d’une position surélevée. C’est ici que la bataille devient périlleuse. La première expérience de combat de la 100e Division d’Infanterie est marquée par de lourdes pertes des deux côtés, mais elle continue de gagner du terrain.
La Compagnie « E », celle de Tom, traverse la Plaine sous l’averse de tirs allemands, vers le village de La Trouche. Les forces américaines repoussent les Allemands vers l’est. Après avoir traversé la Plaine, la compagnie de Tom se dirige vers Moyenmoutier où les comptes-rendus des éclaireurs révèlent un obstacle qui leur barre la route. Les Allemands sont en effet en train de se replier, mais ont toujours plusieurs bastions défensifs fortifiés sur le chemin. Au-dessus de Moyenmoutier, il y a un petit groupe d’habitations sur une route étroite au pied d’un ravin. Les éclaireurs révèlent que les Allemands ont installé un nid de tourelles mitrailleuses de part et d’autre de la route, préparant une embuscade mortelle pour les troupes américaines en poursuite.
Le capitaine Garahan confirme la véracité du rapport des éclaireurs, et après délibération, le lieutenant Edward A. Silk de la Compagnie E se porte volontaire pour mener un petit groupe à l’assaut de la position allemande. Parmi ce groupe se trouve le PFC Walter Kirk, qui est revenu sur le site en 2005 avec mon frère Peter pour décrire les événements de ce fameux jour. Le groupe se fraya un passage dans le bois surplombant les maisons allemandes. Le lieutenant Edward Silk reçut la Médaille d’Honneur du Congrès pour ses actions ce jour-là. On voit dans la photographie ci-dessous le bois dans lequel se sont cachés les soldats américains. Les Allemands, barricadés dans les maisons au pied du bois, ne s’attendent pas à l’attaque surprise que préparent cette poignée de soldats.

Voici une citation officielle des opérations de Silk qui lui ont valu la Médaille d’Honneur :
Le Premier Lieutenant Edward A. Silk commandait le peloton armé de la Compagnie E du 398e Infanterie, le 23 novembre 1944, quand le bataillon fut chargé de saisir la position au-dessus de Moyenmoutier, avant la prise de la ville. Sa compagnie partit à l’aube et atteignit l’extrémité du bois à proximité de Saint-Prayel où les éclaireurs repérèrent une sentinelle devant une maison en bas de la vallée. Une escouade, chargée d’une mission de reconnaissance dans la zone, fut immédiatement arrêtée par des tirs de fusils automatiques provenant de la maison. Déployant stratégiquement sa section d’artillerie légère, le Premier Lieutenant Silk riposta, mais au bout d’un quart d’heure d’échanges, ne rencontrant aucun relâchement dans la réponse ennemie, il décida d’éliminer la position ennemie avec une attaque solitaire. Il courut sur 90 mètres sous le feu allemand et se mit à couvert derrière un mur de pierre, en face de la maison. Il ouvrit le feu sur la porte d’entrée et la fenêtre avec sa carabine ; puis, l’ennemi à découvert, il sauta par-dessus le mur de pierre et courut sur 40 mètres sous une pluie de balles, jusqu’au côté gauche de la maison où il lança une grenade à travers une fenêtre, tuant deux mitrailleurs. Essayant de contourner la maison, il fut pris pour cible par deux mitrailleurs dans un garage en face de lui. Faisant preuve d’un courage exceptionnel, il se rua sur cette position, sous la menace directe du feu ennemi, et parvint à neutraliser l’arme à feu et tuer les deux mitrailleurs en jetant une grenade dans la structure. A court de grenades, mais pas de courage, il revint à côté de la maison, et jeta des pierres dans la maison, sommant les derniers soldats de capituler. Douze Allemands, poussés à bout par l’assaut et les méthodes peu orthodoxes du lieutenant, se rendirent au seul Américain. Par sa disposition à subir la pleine concentration du feu ennemi et l’intrépidité avec laquelle il mena à terme son hasardeuse mission, le Premier Lieutenant Silk permit à son bataillon de continuer son avancée et atteindre son objectif.


NDLR : Pour tenter de localiser la maison mentionnée dans le rapport, mon frère Peter a visité le site en 2005 avec une partie de la 100e. Il ne put se rappeler de l’adresse précise, mais m’expliqua que la structure est actuellement utilisée comme QG d’un parc naturel. Avec ce peu d’informations en tête, j’ai tenté de trouver l’endroit sur Google Earth puis sur Google Maps. Grâce à la large toiture d’un des bâtiments, il me semble l’avoir trouvé.
Je m’arrête donc dans une clairière sur le bord de la route où je commence à prendre des photographies. Au bout de quelques minutes, un homme appelé Eric m’apostrophe et me demande ce que je fais. Je lui explique. Il est garde forestier. Il me raconte qu’il a rencontré mon frère et des membres de la 100e en 2005. Il a la courtoisie de me donner des détails sur cette journée et de me montrer une photo historique de la propriété.

Le président Franklin Roosevelt étant mort avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce fut Harry S. Truman qui délivra la Médaille d’Honneur du Congrès en août en 1945.

Grâce à la bravoure du lieutenant Silk et les milliers de membres de la 100e Division d’Infanterie, les villes de Raon-l’Étape, Moyenmoutier, Le Vermont, Saint-Blaise, Salm et bien d’autres encore furent libérées, avec la retraite précipitée des forces allemandes. La 100e Division d’Infanterie fut ramenée à Raon-l’Étape pour subir un entraînement tactique intensif au cours des quatre jours suivants en vue de son prochain objectif : marcher sur les Hautes Vosges, jusqu’à Bitche et la ligne Maginot.
La Médaille d’Honneur du Congrès du Lieutenant Edward Silk est l’une parmi trois seulement qui furent délivrées aux 13 000 soldats durant la campagne de 1944-45 de la 100e Division d’Infanterie.

Sur le chemin du retour vers mon hôtel dans la ville de Saint-Dié-des-Vosges, je ressens les bienfaits de toutes mes recherches antérieures au voyage. Mon voyage m’engage et m’offre de belles surprises. Rappelons que je m’efforce de me comporter comme un résidant. Quand je m’arrête au supermarché, une femme m’aborde et me pose une question en français. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle me demande, mais je suis ravi que ma couverture fonctionne. Je hausse l’épaule à la française et souris : Je ne sais pas. De retour à ma chambre d’hôtel, je me dis que ma nature économe a peut-être influencé mon choix d’hébergement. Ma chambre a tout le charme d’un établissement correctionnel peu sécurisé… avec Wi-Fi gratuit.
La bataille des Basses Vosges fut une leçon douloureuse bien qu’utile pour la 100e Division d’Infanterie. Ils auraient besoin de tout le savoir et la détermination à disposition pour avoir du succès dans la phase suivante de la guerre. Après la fin de la bataille, Tom reçut onze lettres de Kate, d’un coup. Quand il en eut le temps, il répondit. Voici un extrait de sa lettre :
« Mardi 21 novembre
« Toujours quelque part en France
« Ma très chère Kate,
« Cela doit faire deux semaines que je ne t’ai pas écrit. Je n’en suis pas certain car il est difficile de garder la notion du temps ici, mais ceci est la première occasion que j’ai de t’écrire.
« Je ne peux pas t’en dire beaucoup, mais j’ai vécu ma première bataille. Ce n’est pas pire que l’idée que je m’en faisais. Ne t’inquiète pas trop, la Compagnie est sacrément bonne. Nous sommes capables de nous occuper de nous-mêmes. »