1. La Traversée de l’Atlantique et le débarquement en France d’après Tom

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Octobre 1944

La 100e Division d’Infanterie fut activée en novembre 1942 à Fort Jackson, en Caroline du Sud. Elle subit un entraînement spécialisé dans les Cumberland Mountains du Tennessee qui se conclut à Fort Bragg, en Caroline du Nord en 1944.

La Division était prête à l’issue de cet entraînement à jouer le rôle déterminant qui lui fut assigné au stade final de la Seconde Guerre mondiale. En octobre, elle fut mobilisée pour le combat. Après avoir effectué les derniers préparatifs nécessaires au déplacement, elle fut embarquée à Manhattan pour son voyage à travers l’Atlantique, qui s’acheva au port de Marseille.

Tom avait 28 ans. Il était marié depuis deux ans et avait une fille, Kate. Sa femme, Kathy, attendait leur second enfant. Il était le plus âgé de sa garnison, ayant reçu une formation d’officier et ayant obtenu le grade de capitaine dans le 398e Régiment, Companie E. Il écrivait des lettres à sa femme dès lors que les circonstances le permettaient. Celle-ci a conservé l’intégralité de leur correspondance durant cette période.

Voici le récit de Tom de son voyage d’octobre 1944.

USNS W.H. Gordon

… « Je me demande ce que tu sais des mouvements de la Division depuis le débarquement. Il n’y a plus de censure à ce propos. Si ça t’intéresse, je te ferai donc un résumé des déplacements dans chaque lettre pour que tu puisses suivre nos mouvements.

« Nous avons quitté les États-Unis le 6 octobre et sommes arrivés à Marseille le 22 octobre. Nous avons effectué la traversée en convoi, dans la 100e-103e et 12e Division Blindée. Inclus dans le convoi était un porte-avions britannique en direction d’Oran et quelques navires à réfrigérateurs. Le 398e et le 375e d’Artillerie Légère et quelques unités mineures étaient à bord d’un des vaisseaux : le Général-W.H.-Gordon. C’était un transport marin de 10 000 tonnes, dont l’équipage était notre Garde Côtière. Le « George Washington », rebaptisé le « Conte Grande » de la ligne italienne, était le seul navire de la flotte qui était plus imposant. Notre navire était le plus rapide (sans compter l’escorte) : il était capable d’avancer à 20 nœuds, à son apogée. C’était son second voyage. Il avait effectué la traversée avec la 44e Division un mois plus tôt.

« Nous étions accompagnés d’un destroyer et de trois escortes de destroyer. Les premiers jours du voyage se déroulèrent dans le calme, mais le cinquième jour nous rencontrâmes une véritable tempête nord-atlantique. Nous en subîmes le joug trois jours durant, jusqu’à ce qu’elle se tasse et finisse par s’estomper d’elle-même. Tout le monde autour de moi avait succombé au mal de mer, mais il n’était pas question que je rate un repas (nous n’étions nourris que deux fois par jour, le matin et le soir).

« Le ciel s’éclaircit peu avant que nous apercevions la terre ferme. Nous vîmes d’abord la côte africaine. Après l’avoir remontée, nous entrâmes dans la Méditerranée. Au crépuscule nous aperçûmes Gibraltar, une vision à couper le souffle. Nous nous réveillâmes au matin en eaux méditerranéennes. Nous longeâmes la côte nord-africaine jusqu’à rejoindre la latitude de Marseille, puis nous virâmes de bord et prirent plein nord. Là, nous entrâmes en zone de danger : les avions allemands basés en Italie y harcelaient les transports marins. Par chance, une tempête s’éleva, ce qui interdit le ciel aux avions allemands. C’était une tempête furieuse ! Elle était pire encore que sa version atlantique. Les mêmes gars tombèrent malades. Cependant, le vent qui nous bousculait nous propulsa tout autant, et nous arrivâmes au port indemnes.

« Il y a bien des détails que je pourrais ajouter à ce résumé, le plus important étant que je commençais à comprendre à quel point une personne pouvais me manquer, et la douleur, la solitude et la frustration que l’on ressent à être loin de celle qu’on aime, avec seulement 50 % de chance de la retrouver. »…

Les lettres de Tom révélaient un aperçu de son quotidien et contenaient des personnages ou des vignettes susceptibles d’amuser ou d’intéresser Kate. Voici l’extrait d’une lettre qu’il écrivit sur le navire même et qu’il posta après son entrée en France.

« Sur l’Onde salée

« Ma Chérie,

« Le navire commence vraiment à tanguer cette nuit. De plus en plus d’hommes sont malades mais l’on ne peut rien pour eux. Je tiens toujours bon. En fait, je me sens plutôt bien et j’ai un monstrueux appétit. A croire que j’ai des marins irlandais pour ancêtres.

« La vie à bord devient monotone, bien qu’elle soit presque plaisante. Il y a toujours quelqu’un avec qui tuer le temps. Rendell et moi discutons beaucoup. C’est un bon gars. Warren aussi.

« John Henry (un officier supérieur) a eu une nouvelle idée saugrenue aujourd’hui. Nous sommes tenus de porter la cravate à chaque repas, mais seulement à cette occasion. Quelqu’un lui a demandé quand les cravates devaient être portées et voici sa réponse : « Son port est obligatoire pour les repas, mais optionnel dans le reste des cas. » Je ne sais pas comment il fait. Ça doit être un don… »

USNS W.H. Gordon

Octobre 1944

Quelques jours plus tard, Tom continua son rapport des activités de la 100e Division dans une nouvelle lettre adressée à Kate.

Transporter Bridge, port de Marseille

… « Aimerais-tu en savoir plus sur l’hégire de la 100e ? C’est parti :

« Nous accostâmes au port de Marseille le 22 octobre. Le convoi était plutôt large. On ne pouvait décharger que quelques vaisseaux à la fois à cause des dégâts causés à nos ponts par le corps aérien avant l’invasion du Sud de la France par la 7e Armée, et les Allemands avant leur retraite. Traditionnellement, les navires sont déchargés suivant la hiérarchie des rangs des commandants. Heureusement, notre capitaine était le troisième ou quatrième homme de plus haut rang. Nous avions donc peu de temps à attendre devant le port.

« Nous descendîmes la passerelle avec toutes nos possessions sur le dos, dans des énormes sacs de 27 kg chacun. Nous marchâmes en rang sous les yeux de GI qui nous insultaient et nous dénigraient de part et d’autre. Ils disaient que nos uniformes et notre équipement seraient bientôt sales et déchirés. Nous nous efforçâmes de les ignorer et continuâmes à avancer. Nous nous dirigions vers des aires de concentration en banlieue de la ville, où nous devions être inspectés. Nous ne savions absolument pas à quelle distance elles se trouvaient.

« Imagine notre consternation lorsque nous apprîmes que le camp était à 24 km du port, ———- sachant que nous avions chacun 27 kg sur le dos et deux semaines d’inactivité et de maladie (dans la plupart des cas) derrière nous ! Nous n’avions pas déjeuné et la seule ration de nourriture que nous avions sur nous était prévue pour le « dîner » vers 15h – quelle marche ce fut ! Les lanières de nos sacs sciaient nos épaules ; nos pieds étaient bientôt plein d’ampoules dans nos chaussures neuves ; la faim nous donnait la nausée ; nos muscles brûlaient sous l’effort ; mais pas un seul homme dans la compagnie ne s’avoua vaincu.

« Nous étions tout juste sortis de la ville ; la nuit venait de tomber quand soudain, tous les projecteurs de la ville illuminèrent le ciel et ses batteries antiaériennes ouvrirent le feu. Un bombardier solitaire allemand était venu d’Italie effectuer un raid sur la zone portuaire. Ce fut notre première expérience de la sensation palpitante bien qu’écœurante qu’inspire le combat. Bien sûr, nous n’étions pas en danger à ce moment-là, mais nous n’en savions rien et tout le monde s’apprêtait à se faire bombarder. Nous réalisâmes alors que la guerre faisait rage tout autour de nous.

« Vers minuit, nous atteignîmes enfin le camp, un champ ouvert entre un chemin de fer et une autoroute. Il avait commencé à pleuvoir. Nous étions tous exténués mais devions tant bien que mal préparer nos couches. Je pris Warren pour binôme (lui et Sam Passero étaient arrivés plus tôt en véhicule et nous avaient escortés à nos quartiers).

« J’étais trop fatigué pour monter une tente, alors nous préparâmes un lit de fortune avec des couvertures et des planches et nous nous couchâmes aussitôt.

« Le matin suivant nous nous réveillâmes et trouvèrent le champ inondé de boue française. Nous mangeâmes une ration C pour le petit déjeuner (que j’engloutis comme un dîner à multiples services dans un restaurant de luxe) et commençâmes à planter nos tentes en bonne et due forme. Nous passâmes le plus gros de la matinée à traquer l’équipement que nous avions perdu dans l’obscurité.

« Puis, les rumeurs se mirent à courir. Nous allions être retenus au camp pour un nouvel entraînement – on comptait nous envoyer au front dès que possible ; – nous allions être utilisés comme troupes d’occupation ; – nous allions être organisés en équipes de combat et déployés dans différentes zones- j’en passe et des meilleures.

« Malgré les rumeurs, rien de sensationnel ne se produisit pour un certain temps. Nous nous occupâmes à charger et décharger l’équipement lourd, à le nettoyer, réceptionner des nouveaux véhicules, vivant dans la boue et la pluie presque ininterrompue. Les gars surnomment l’endroit, et à juste titre, « Le Ravin de la Pneumonie ».

« Nous commençâmes à faire du troc avec les natifs _ cigarettes, bonbons, savons, ration C, chocolat et tout ce que nous pûmes trouver pour obtenir du vin de basse qualité. Nous visitâmes également les villages voisins pour faire du tourisme, parler les bribes de français qui nous restaient du lycée, et parcourir les caves à vins des environs. Certains trouvèrent immédiatement le bordel du coin. Ils sont très aptes, en toutes circonstances, à trouver le bordel le plus proche. Nous eûmes donc aussitôt un gros problème de maladies vénériennes et dûmes ouvrir des stations prophylactiques.

« Finalement, un matin, après avoir passé une semaine au camp, la nouvelle nous parvint : nous allions partir pour le front ! Ainsi débuta la nouvelle phase de notre voyage – cette fois en wagon sur les fameux chemins de fer français. Mais cela mérite son propre chapitre. »