Vendredi 10 novembre 2017
Bitche – Cimetière américain de Lorraine, Saint-Avold

L’hôtel Le Strasbourg a une ambiance intemporelle : intime, charmante et classique. Quand j’y arrive au matin, le serveur met un œuf à bouillir sans que je le lui demande et le petit déjeuner me réserve une palette de saveurs.
Passer du temps avec Lutz, le propriétaire et mon hôte, a été un régal. Lui et son personnel ont enrichi mon voyage et m’ont ouvert une fenêtre sur le passé. Son savoir sur la famille Oblinger est un lien direct aux événements de 1945. Désormais, la famille Oblinger est en possession du fameux drapeau et j’espère le revoir un jour.
Aujourd’hui, j’ai deux objectifs : visiter le cimetière américain de Lorraine, à Saint-Avold, à une heure et demie de route, et le musée de la ligne Maginot, à Bitche. Hier, j’ai ajouté 18 pages à mon carnet de voyage, pour relever mes impressions de la journée et réunir mes documents. Ordonner les documents historiques, les lettres de Tom, les anciennes et nouvelles photographies, les notes sur ma propre expérience est une lourde tâche. Heureusement, mes recherches antérieures me permettent de rassembler les pièces du puzzle. Les qui, quoi, quand et où me semblent plus clairs que jamais. La palette des émotions ressenties par tous ces gens, pendant et après les horreurs de la guerre, passe lentement aux oubliettes au fil des générations. Bien que hors d’atteinte, ces émotions nous parviennent par les mots et les monuments érigés en l’honneur de tous ceux qui durent participer à la guerre. Les lettres de Tom nous donnent un aperçu de ce qu’il ressentit.
Le cimetière commémoratif américain de Lorraine en France contient le plus grand nombre de tombes américaines en Europe, 10 482 au total. La plupart appartiennent aux Divisions d’Infanterie et de Blindés de la Septième Armée, dont la 100e Division d’Infanterie. Ma visite est en l’honneur de tous ces jeunes hommes qui moururent au combat en 1944-45. Il pleuviote, il fait froid et humide et je suis seul, entouré de 10 000 tombes. Sur le parvis de la chapelle commémorative, je suis touché par le deuil de toutes ces familles qui perdirent ici un être cher.

BRAVANT TOUT ET DONNANT TOUT
POUR QUE L’HUMANITE VIVE EN PAIX
ILS REJOIGNENT LA GLORIEUSE BANDE DE HEROS
QUI SONT DEJA PARTIS »

Je me prépare à rentrer à Bitche, et je remercie le ciel que Tom ne soit pas enterré là-bas.
De retour à Bitche, je vais directement au musée Simserhof de la ligne Maginot. Je me rends compte assez tard que je suis déjà passé devant en Jeep avec Michel. Les groupes de visite sont répartis selon la langue des touristes. La réceptionniste fait des arrangements de dernière minute pour me permettre, ainsi qu’un autre Américain et un homme d’affaires en déplacement, de visiter le musée en compagnie d’une jeune dame nommée Betty. Betty a grandi dans la région. Elle est une ancienne élève de Gérard Humbert, le maire, qui enseignait le français dans son lycée. Elle me reconnaît à cause du journal du matin. Elle est savante, professionnelle et divertissante. J’apprends de première main toutes les informations que j’ai incluses dans le chapitre sur la ligne Maginot.
Simserhof fut bâti pour servir de relais d’approvisionnement à tous les forts interconnectés, par des trains souterrains. Il y a une visite en wagon sur les anciens rails qui montre tous les détails de la conception de l’infrastructure. Ce sont des bunkers à première vue impénétrables destinés à héberger et nourrir un grand nombre de troupes françaises venues défendre leur frontière. Ils sont pensés pour être aptes à déjouer toutes formes d’attaques.
L’ironie de la ligne Maginot, c’est que ce système défensif unique, censé repousser l’ennemi, tomba entre les mains des Allemands très tôt à l’échelle de la guerre. L’envahisseur apprit rapidement à contrôler la zone à partir de la ligne Maginot, et s’en servit comme une arme offensive très dangereuse contre les alliés. En l’absence d’informations concernant la conception et les fonctionnalités de la ligne Maginot, il est impossible à comprendre comment la 100e Division d’Infanterie parvint à vaincre les forces allemandes cet hiver-là.
Ma visite à Bitche fut une expérience de vie fantastique, et l’accueil bienveillant que j’y reçut me laisse une merveilleuse impression des gens du pays.
Presque immédiatement après la prise de Bitche par les Américains, la 100e Division d’Infanterie pourchassa l’ennemi en déroute jusqu’à Mannheim/Ludwigshafen, où les troupes allemandes traversèrent le Rhin.
