Octobre 1944
Dans une troisième lettre consécutive à Kate, Tom raconte les mouvements de la 100e Division durant la dernière semaine d’octobre 1944.

« … Tu veux que je te parle des 40+8 ? J’espère que c’est le cas parce que je vais t’en parler quoi qu’il en soit.
« Nous avons pris le train dans une petite ville appelée Septèmes, un peu au nord de Marseille. Il était composé de 50 wagons de toutes provenances : française, allemande, italienne, mais aucun n’avait plus de quatre roues, et la plupart ressemblaient au Toonerville Trolley (tramway américain). Il y avait une voiture française avec places assises. Elle avait vu plus d’un mauvais jour, d’après tous les officiers.

« Environ 1200 hommes furent entassés (il devait y avoir moins de 50 voitures utilisées par les hommes car 5 d’entre elles transportaient des bagages).

« Une locomotive très poussive tirait le train. Je ne sais pas exactement combien de temps a duré le trajet, mais la distance ne pouvait excéder 400 km. Ça nous a pris six jours et cinq nuits. On s’arrêtait toutes les quelques minutes. En tout cas, c’est l’impression que ça nous faisait. Nous étions si serrés que nous ne pouvions pas tous nous allonger simultanément, alors certains essayèrent de dormir assis. D’autres dormaient chacun leur tour. Nous avions des rations C en conserve, mais aucun moyen de les réchauffer. Les hommes devaient faire leurs besoins sur le côté des rails lorsque le train s’arrêtait. C’était pure malchance d’avoir besoin de faire autre chose qu’uriner pendant que le train avançait. Il y avait un container de vingt litres d’eau dans chaque voiture.
« Les GI râlèrent mais durent s’adapter à la situation. Il faisait si froid, surtout la nuit, que des chauffages improvisés apparurent dans de plus en plus de voitures. Ils étaient fabriqués à partir de toutes sortes de conserves usagées.
« La voiture des officiers n’étant pas propice au sommeil à cause des sièges, nous ouvrîmes une voiture adjacente et étendîmes nos sacs de couchage sur des bagages. Ensuite, nous prîmes nos rations C, de l’eau, volâmes un bidon de vingt litres d’essence et furent alors enfin en mesure de chauffer nos plats. Nous n’avions plus à nous soucier du froid vu que nos sacs de couchage étaient très épais. Ainsi, pour le reste du voyage, nous dormîmes confortablement, mangeâmes de la nourriture chaude et nous divertîmes à jouer au rami et nous raconter les fables de nos exploits conquérants auprès des femmes.
« Finalement, nous entrâmes en gare à Epinal et ce fut la fin du voyage. La prochaine étape était la dernière du périple qui nous amenait au front. (Palpitant, n’est-ce-pas ?)
« Nous vécûmes un malheureux accident sur le chemin. Un garçon du Bataillon H.Q Co. ayant tardé à remonter dans le train, il essaya de monter dedans pendant qu’il recommençait à avancer. Il glissa et tomba sous le train. Il perdit ses deux jambes mais survécut et est maintenant sur le chemin du retour. »
Dimanche 5 novembre 2017
Strasbourg et les Vosges
En 1944, la 100e Division d’Infanterie établit son campement dans un champ de Septèmes, au sud d’Aix, pour un peu plus d’une semaine. Quand l’ordre de lever le camp fut donné, ils se préparèrent à partir à la rencontre de leur destin.
Mon bienfaiteur en hôtellerie, Alain Piaillat m’a confié qu’il était nourrisson quand la guerre éclata et fut maintenu en sécurité dans les Vosges durant l’occupation allemande. Je me sens le devoir de représenter son histoire à lui aussi durant mon voyage.
Son aide généreuse concernant mon hébergement à Aix est un tremplin à mon aventure. Mon séjour à Aix-en Provence plante le décor pour mon voyage dans le passé.
Après un dernier, « très français » (et délicieux) petit déjeuner, je marche jusqu’au centre pour prendre une navette en direction de la gare TGV, qui est bien loin du centre de la ville. Tandis que je tente de choisir un sandwich en baguette pour mon trajet (six heures environ), un pianiste se met à jouer du Mozart sur une passerelle surplombant le quai. Je me dirige vers Strasbourg. J’irai plus loin en six heures que la 100e en cinq nuits et six jours en 1944.

La première moitié du voyage du jour suit la vallée du Rhône vers le nord. Le train avance vite et relativement silencieusement, et le paysage est vert et vallonné. Nous arrivons à Avignon avant d’avoir pu dire « Châteauneuf-du-Pape ». Le train est assez vide jusqu’à Lyon. Je remarque une vague de jeunes qui montent dans le train à Lyon, la plupart étant des étudiants qui retournent aux facs de Strasbourg après l’excursion du week-end. Ils sont chargés de livres, papiers et appareils électroniques. Ils animent ma journée. Il y a le Wi-Fi dans le train et quand la vitesse excède 300 km/h (186 miles/heure), une alerte retentit sur mon téléphone. Je m’amuse du contraste entre le voyage de Tom et le mien.

Au sud de Dijon, le TGV vire vers le nord-est, contournant le bas des Vosges vers la vallée du Rhin. En octobre 1944, les troupes tiennent le cap vers le nord à travers Dijon jusqu’à la destination finale d’Épinal, sur la Moselle. Une majeure partie de la 100e Division d’Infanterie les rejoint par voie motorisée avec toutes les provisions, les transports, l’artillerie et les munitions nécessaires. Le reste de l’infanterie est sur le train lent, en direction du front.
Après avoir débarqué, je me dirige vers mon hôtel, où je dînerai et réceptionnerai mon prochain moyen de transport : une voiture de location. Mon but est de me rendre aux sites précis traversés par la 100e, des Vosges jusqu’en Allemagne puis de retour à Strasbourg.

Lundi 6 novembre 2017
L’agence de location est dans la gare en face de l’hôtel. J’apprends que parce que je compte aller en Allemagne en novembre, j’aurai besoin de chaînes à neige ; il me faut donc prendre une voiture tchèque, la Skoda. C’est une berline noire parfaitement adaptée aux virages constants des routes de montagne qui m’attendent. Pour quelqu’un qui essaie de se fondre dans la masse quand il voyage, cette voiture est le bon choix.
Avec l’aide du GPS et son accent britannique féminin, je commence ma traversée des Vosges en direction du cimetière américain d’Épinal, où reposent 5 100 soldats de l’armée américaine. Cette portion du voyage est mémorable. Les paysages montagneux me transmettent leur ambiance, sans, bien entendu, la terreur des combats.

Les mots me manquent pour exprimer ce que l’on ressent à regarder les tombes de tous ces jeunes soldats. La majorité des défunts faisaient partie de la 45e Division qui combattit l’ennemi avant l’arrivée de la 100e Division d’Infanterie, envoyée pour les relever. La 100e Division d’Infanterie était spécialement formée au combat sur ce genre de terrain. Ils durent se montrer volontaires et prêts au sacrifice ultime.



